Pierre Corneille, Le Menteur, Acte III, scène 5 - Extrait

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CLARICE.

Je vous voulais tantôt proposer quelque chose,
Mais il n’est plus besoin que je vous la propose,
Car elle est impossible.

DORANTE.

                                          Impossible ! Ah ! pour vous
Je pourrai tout, Madame, en tous lieux, contre tous.

CLARICE.

Jusqu’à vous marier quand je sais que vous l’êtes ?

DORANTE.

Moi, marié ! Ce sont pièces qu’on vous a faites,
Quiconque vous l’a dit s’est voulu divertir.

CLARICE, à Lucrèce.

Est-il un plus grand fourbe ?

LUCRÈCE, à Clarice.

                                                  Il ne sait que mentir.

DORANTE.

Je ne le fus jamais, et si par cette voie
On pense…

CLARICE.

                     Et vous pensez encor que je vous croie ?

DORANTE.

Que le foudre à vos yeux m’écrase si je mens.

CLARICE.

Un menteur est toujours prodigue de serments.

DORANTE.

Non, si vous avez eu pour moi quelque pensée
Qui sur ce faux rapport puisse être balancée,
Cessez d’être en balance, et de vous défier
De ce qu’il m’est aisé de vous justifier.

CLARICE, à Lucrèce.

On dirait qu’il est vrai, tant son effronterie
Avec naïveté pousse une menterie.

DORANTE.

Pour vous ôter de doute agréez que demain
En qualité d’époux je vous donne la main.

CLARICE.

Hé ! vous la donneriez en un jour à deux mille.

DORANTE.

Certes, vous m’allez mettre en crédit par la ville.
Mais en crédit si grand, que j’en crains les jaloux.

CLARICE.

C’est tout ce que mérite un homme tel que vous,
Un homme qui se dit un grand foudre de guerre1,
Et n’en a vu qu’à coups d’écritoire ou de verre2,
Qui vint hier de Poitiers, et conte, à son retour
Que depuis une année il fait ici sa cour,
Qui donne toute nuit festin, musique et danse,
Bien qu’il l’ait dans son lit passée en tout silence,
Qui se dit marié, puis soudain s’en dédit,
Sa méthode est jolie à se mettre en crédit.
Vous-même apprenez-moi comme il faut qu’on le nomme.

CLITON, à Dorante.

Si vous vous en tirez, je vous tiens habile homme.

DORANTE, à Cliton.

Ne t’épouvante point, tout vient en sa saison.

À Clarice. 

De ces inventions chacune a sa raison. 

Pierre Corneille, Le Menteur, Acte III, scène 5


1. Un grand foudre de guerre : un combattant redoutable.
2. Verre : Emploi métonymique, Clarice induisant que Dorante n'a vu de combats que dans ses rêves d'ivresse.

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